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La question de l’identification

Ce qui fait la spécificité de La Blanche Maison, c'est sa collection de meubles ardennais dont les créateurs sont connus pour la plupart. Mais les visiteurs sont en droit de s'interroger : qu'est-ce qui, au fond, permet de se montrer aussi affirmatif ? Sur quoi reposent les différentes attributions à tel ou tel atelier, sachant que les meubles ne sont quasiment jamais signés ?

S'est-on fondé sur leur ancien lieu de conservation ? Ou sur celui de leur acquisition ? Tout le monde peut se rendre compte que ce n'est pas si simple : le mobilier étant « mobile » par définition, procéder de cette façon est loin de suffire.

S'est-on alors basé sur des critères morphologiques ? Cela sous-entendrait l'existence de caractéristiques générales, de « traits de parenté » permettant de reconnaître à coup sûr un meuble ardennais. Et malheureusement non, cela ne suffit pas non plus, on se trouve au contraire confronté à une grande variété de modèles, de décors et de savoir-faire. S’il existe bien certaines constantes dictées par les besoins et les habitudes de la clientèle, celles-ci sont rarement suffisantes pour garantir l'origine ardennaise d'un meuble.

De véritables enquêtes policières

Alors, sur quelles bases la collection repose-t-elle ? Il fallait en tout cas des recherches ardues et passionnées. Par chance, ces recherches, quelqu'un les avait déjà menées : André NOËL (1946-2010). 

Entrepreneur de son état, il n'était nullement destiné à devenir l’historien du meuble ardennais. C'est la curiosité qui l'a poussé : observant dans son environnement proche (en l’occurrence, le village de Bande et ses alentours) la présence de nombreux meubles anciens et de boiseries présentant des particularités communes (notamment des éléments décoratifs appelés « écoinçons » dont le tracé ne se retrouvait nulle part ailleurs), il en a déduit l’existence probable d’un atelier de menuiserie local. Restait à l'identifier. Son flair a fini par le mener dans une église où, sur le maître-autel, il a retrouvé ces écoinçons si typiques qu'il recherchait. Par chance, les comptes de la fabrique d’église étaient conservés depuis le XVIIIe siècle et ont livré le nom de l'artisan qui avait réalisé (ou plutôt adapté) cet autel : Joseph CHIGNESSE (1734-1805). C’est ainsi que tout a commencé. 

Si une belle exposition sur l’atelier Chignesse a été organisée par le Musée de la Famenne à Marloie en 1997, lui rendant ainsi un juste hommage, André Noël n’a malheureusement jamais connu ce prolongement ultérieur de ses recherches que constitue la présente collection. La restauration de la Blanche Maison et le projet de musée n'ont en effet débuté qu’en 2012, deux ans après son décès.

Une méthode comparative

La méthode d’André Noël,  classique en histoire de l’art, a consisté en une comparaison minutieuse avec des éléments de référence dûment identifiés. Mais ce n’est pas facile : pour ce qui est des meubles, ceux-ci ont, c’est dans leur nature, une fâcheuse tendance à s’égailler dans tous les sens ! Une double démarche est donc nécessaire : non seulement repérer un grand nombre de meubles et de boiseries afin d’en dégager certains caractéristiques récurrentes, mais également rattacher cet ensemble à des points de comparaison fiables. Dans une telle démarche, les églises sont souvent d'un grand secours car elles peuvent contenir des boiseries fixes mentionnées dans la comptabilité paroissiale de l'époque.

Affaires de familles

Il est logique que la production d’un atelier donné soit reconnaissable : la composition, les gabarits, les éléments décoratifs, les tours de main, les outils utilisés se retrouvent souvent d’une boiserie, d’un meuble à l’autre. Elle est en outre plus ou moins contemporaine. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’à ces « familles » de meubles correspondent de vraies familles d’artisans. Familiaux, les ateliers l’étaient en effet le plus souvent, le(s) fils poursuivant le métier du père qui avait également engagé le gendre. De plus, des familiers -apprentis, ouvriers extérieurs- y collaboraient plus ou moins longtemps. Ces derniers intégraient les usages de l’atelier dans leur pratique mais pouvaient également exporter ce savoir-faire s’ils changeaient d’employeur. En retour, les fils allaient parfois apprendre le métier dans un autre atelier, ramenant ainsi de nouvelles pratiques dans l’atelier paternel. C’est ainsi que certaines « modes » régionales ont pu voir le jour.

Pas une science exacte

Tout cela pour dire que les attributions à un atelier voire à un menuisier précis ne sont que des conjectures reposant certes sur des éléments objectifs, mais également beaucoup sur l’œil de l’observateur, sur sa familiarité avec les objets de son analyse.

Un exemple parmi les autres, celui de la gaine d’horloge présentée dans la « belle salle ». Elle n’est évidemment pas signée, ce qui n’empêche pas de l’attribuer à l’atelier de Jean-Georges SCHOLTUS (1680 ?- 1754). La plaque portant le nom de l’horloger semble confirmer sa provenance bastognarde mais, en réalité, ce n’est pas celle d’origine. Qu’est-ce qui, alors, permet cette attribution à Scholtus ? Pour faire très court (un livre existe sur le sujet), le même répertoire décoratif Louis XIV que sur les boiseries « certifiées » mais surtout la même façon d’en traiter les éléments (par exemple, la présence de pans coupés amortis par une chute de fleurs). Il est difficile de l’expliquer en deux mots, il faut le vivre. La comparaison avec le meuble à abattant attribué au même atelier (et provenant de la collection personnelle d’André Noël) constitue un exercice intéressant. C'est même une excellente façon de s'imprégner du sujet !

Une collection précieuse

Dans le domaine du mobilier ancien en général et du mobilier régional en particulier, il est très rare d’en connaître les ateliers de production et même, pour un nombre important de meubles, de pouvoir en nommer précisément les auteurs. C’est pourtant le cas ici. Cerise sur le gâteau, on dispose pour plusieurs d’entre eux d’un corpus bien étoffé. Étonnant quand on pense au temps écoulé, pas loin de trois siècles en ce qui concerne l’atelier Scholtus.

Les enquêtes d’André Noël (et pas seulement les siennes, il faut rendre justice à d’autres historiens) ont donc évité à quelques humbles mais talentueux menuisiers de sombrer dans un oubli définitif. Un coin du voile a été levé, éclairant ces meubles et surtout ceux qui y ont laissé une part essentielle d’eux-mêmes. Ils constituent l'âme de la Blanche Maison.