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Simple et harmonieuse, telle apparaît la Blanche Maison. Mais cette élégance classique n'allait pas de soi au moment de sa construction durant la seconde moitié du XVIIIe siècle (1767).

Il faut savoir que, dans les fermes ardennaises traditionnelles, le faîte du toit constitue en quelque sorte la « colonne vertébrale » du bâtiment, le pignon principal avec ses fenêtres pouvant être considéré comme une sorte de « visage » ; se succèdent ensuite, en principe, étable, grange et bergerie. Cette organisation engendre un volume tassé, avec un pignon large et ouvert, coiffé d’une toiture unifaîtière à faible inclinaison. Un très bel exemple, contemporain de la Blanche Maison, en est fourni dans les environs par l’ancienne ferme Jacqmin à Filly.

La Blanche Maison ne ressortit pas à ce type mais à celui des « fermes au logis indépendant et cossu, témoins de l’aisance et du statut social de leur constructeur, fort proche des châteaux-fermes les plus modestes. »1

Il existe un très beau logis de cette sorte dans le village voisin d’Ortho (ancienne maison Remacle, plus tard Willems). Malheureusement, il s’est vu accoler des étables et une grange qui lui ont fait perdre son caractère dominant. Par chance, ce n'est pas le cas de celui de la « Blanche Maison » qui, bien que plus petit (trois travées au lieu de cinq) a conservé une indépendance que le fournil lui conteste à peine.

Si dans les fermes traditionnelles, « le logis s’étire sous le pignon en un « parçon » de trois ou quatre pièces en enfilade »2, dans le cas présent il reproduit la distribution des petits manoirs avec ses quatre pièces disposées en double corps de part et d’autre d’un corridor central. Dans ce type de logis, la cuisine et la « chambre » ( appelée aussi « chambre derrière le feu », « poêle » ou « stûve ») occupent un côté et répondent aux besoins familiaux quotidiens tandis qu'en regard, nous trouvons une « belle salle » destinée à l’accueil des invités et aux repas festifs, suivie d'une pièce servant de réserve. La disposition de l’escalier dans le couloir central (et non dans la cuisine comme c'est généralement le cas dans la région) témoigne également de cette volonté de se référer à un modèle prestigieux.

Nous avons vu plus haut que, dans la ferme ardennaise traditionnelle, la façade principale s’affiche sur un pignon ; ici, deux façades presque semblables correspondent aux murs gouttereaux (c'est à dire portant les gouttières), dont les trois travées disposées symétriquement laissent bien apparaître le plan « en double corps » dont il a été question plus haut.

On peut y reconnaître l’influence du classicisme français sous les règnes de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) et de son fils Joseph II (1741-1790). C'est d'ailleurs à cette époque qu'apparaissent les encadrements de fenêtres en « anse de panier » avec clé, dont les montants sont « harpés », c’est à dire constitués de pierres alternativement horizontales et verticales. Notons que ces pierres de taille ont dû être « importées » depuis la zone calcaire (Famenne) ; si leur usage se généralisera au XIXe siècle, elles demeureront toujours un matériau coûteux, d’où les nombreux encadrements en brique que l’on peut observer un peu partout.

Au rez-de-chaussée, ces fenêtres sont munies de barreaux (en grande partie restitués) qui témoignent d’une inquiétude persistante au moment de la construction : les exactions de la soldatesque et les méfaits des rôdeurs de tout poil étaient encore dans les mémoires3, et devaient d’ailleurs resurgir à la fin du siècle et au début du suivant (on se souvient encore aujourd'hui des tristement célèbres bandits ardennais Magonnette et Géna, Noyé l’Poyou…).

La porte d’entrée est toujours celle d’origine, par contre, en raison de problèmes de stabilité, la façade elle-même a dû être en grande partie démontée puis remontée (la travée de gauche et celle du centre) jusqu'à la corniche qui la coiffe.  Cette dernière a également demandé un gros travail de restauration tant elle était pourrie. Date-t-elle du XVIIIe siècle ou s'agit-il d’un ajout du XIXe ? Difficile de trancher. Quant à la corniche arrière, si tant est qu’elle ait jamais existé, elle avait disparu. L'actuelle, inspirée de la corniche à front de rue, a été rendue nécessaire par un problème technique apparu lors du renouvellement de la toiture (dépassement plus important suite à l’application d'un double lattage sur le voligeage).

Un mot enfin sur le puits. Lors de l’achat de la maison, il était simplement recouvert d'une énorme dalle de schiste brut posée sur le sol : en effet, il ne servait qu’à alimenter la pompe de la cuisine, on ne devait pas y accéder. La pompe est aujourd'hui hors service mais l’existence d’un puits n’en représente pas moins une richesse ; il a été donc aménagé pour le rendre à la fois décoratif et fonctionnel.

Reconnaissons que cette margelle n’a rien d’ardennais. Les puits où puiser l’eau (et non la pomper) que l’on peut encore observer dans la région sont des édicules aux trois-quarts circulaires, couverts d’imposantes dalles de schiste ; ils remontent au XIXe siècle et étaient destinés à un usage public. Comment se présentaient, alors, les puits individuels ? Souvent, semble-t-il, sous la forme d'une «niche» en bois constituée de deux pans inclinés abritant le treuil, l’un de ces pans muni d’un volet. 

Une telle reconstitution était certes possible mais l’idée en a été abandonnée car des planches ainsi exposées aux intempéries n’auraient pas résisté longtemps, il n'en subsiste d’ailleurs plus aucun exemple (sauf une reconstitution au Musée de la Vie rurale du Fourneau Saint-Michel)4.

 

Notes et références

  • 1

    Henry d’OTREPPE, Luc CHANTRAINE et Michèle JORIS, L’architecture dans la région de Houffalize sous l’Ancien Régime in : Art religieux, histoire et archéologie au pays de Houffalize, Cercle Segnia, Houffalize, 1985, p. 243.

  • 2

    Ibid.

  • 3

    En Ardenne, le siècle précédent avait été épouvantable.

  • 4

    Il fallait en outre que le Ministère de l’Équipement et des Transports (MET) ainsi que l’Urbanisme l’acceptent ; c’est le cas de la margelle actuelle, mais l’autorisation n’a pas été obtenue sans mal.