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Discours de Gilles Pirlot de Corbion au format .pdf Lire au format PDF

Madame la Députée Provinciale,

Monsieur le Bourgmestre,

Mesdames et Messieurs,

Merci de nous faire l’honneur d’assister à cette double inauguration, celle de la Blanche Maison en tant que musée, mais aussi celle de la fondation du même nom qui est appelée à en assurer la pérennité.

Vous vous demandez sûrement comment je me suis lancé dans cette folle aventure de l’achat et de la restauration de cette maison : comme vous le savez peut-être, j’habitais Sainte-Ode, pas loin d’ici et, un jour, une annonce immobilière dans le Vlan m’a tapé dans l’œil avec une photo d’une ferme ancienne à la façade particulièrement harmonieuse.

Par curiosité, je suis allé jeter un coup d’œil puis j’ai demandé une visite à l’agence immobilière. Une fois à l’intérieur, j’ai été séduit par les belles dimensions des pièces, les nombreux éléments anciens subsistants et aussi par le fait, devenu rare, qu’elle n’avait pratiquement pas été modifiée depuis sa construction. Mais je dois dire que son état de délabrement m’a vraiment effrayé : murs dangereusement inclinés et parfois affaissés, planchers instables et vermoulus, infiltrations d’eau depuis le toit criblé de trous jusqu’à la cave marécageuse, avec leur inquiétant cortège de champignons et autres moisissures... Le bâtiment était proche de la ruine et, comme je m’en rendis compte par la suite, c’était la raison même de sa vente, son précédent (et récent) propriétaire ayant prudemment renoncé à le restaurer.

A l’issue de ma visite, j’étais décidé à ne pas y remettre les pieds, jugeant la cause perdue. Mais un petit démon m’a tourmenté les jours suivants en me susurrant à l’oreille que l’amateur de vieilles pierres que j’étais ne retrouverait jamais une autre maison restée ainsi dans son jus, et que cette presque ruine méritait vraiment une réhabilitation respectueuse de son authenticité. C’est ainsi que, quelques jours plus tard, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure.

Mais pour en faire quoi ?

Toute personne sensée aurait cherché à l’habiter ou à la rentabiliser, mais appliquer à cette maison les standards de confort et les normes du XXIe siècle aurait, au moins partiellement, détruit ce qui m’avait poussé à l’acheter.

Je me me suis dit alors qu’il y avait peut-être un pari à tenter, un pari fou, celui que l’absence de modernisation de la maison pourrait finalement en faire tout l’intérêt, comme un vestige épargné donne la mesure des changements survenus autour de lui. Un peu comme si, paraphrasant Victor Hugo, j’allais faire proclamer par la maison : « Et s’il n’en reste qu’une, je serai celle-là ! ».

Mais alors, quelle affectation lui trouver ? A vrai dire, je n’en ai trouvé qu’une seule, celle de lieu culturel. Et c’est ainsi qu’est née assez rapidement l’idée d’un musée du meuble ardennais, formule qui présentait le grand avantage de permettre au « contenant » (la maison) et au « contenu » (les meubles et les objets) de se compléter mutuellement.

Ce qui m’a guidé dans la réhabilitation de la Blanche Maison, c’est donc la recherche de la meilleure adéquation possible entre une collection de meubles anciens (qui a été rassemblée petit à petit parallèlement au travaux)) et le bâtiment qui avait pour nouvelle vocation de les abriter. Et cela en tentant de préserver, voire de recréer, une atmosphère « d’époque », de « capsule temporelle » en quelque sorte, même si, vous vous en doutez, il fallait pour y parvenir effectuer d’importants travaux -tout en donnant l’impression qu’ils n’avaient pas eu lieu. Je précise au passage que, la maison n’étant pas classée (seulement « pastillée »), je n’ai bénéficié d’aucun subside.

Quant à la collection de meubles ardennais qui allait conférer son identité, sa raison d’être à mon petit musée, ce sont les recherches d’André NÖEL, historien amateur passionné par le mobilier ardennais, qui m’ont servi de fil conducteur. Avec pour résultat que la collection de la Blanche Maison constitue aujourd’hui l’une des plus importantes de Wallonie à présenter un mobilier régional provenant d’ateliers dûment identifiés. En ce qui concerne l’atelier CHIGNESSE, par exemple, cette collection comporte sept meubles. Ce n’est déjà pas rien, mais si on les ajoute à ceux conservés par le Famenne & Art Museum de Marche, avec lequel la Blanche Maison a d’ailleurs conclu un partenariat, on approche de la quinzaine, ce qui constitue un ensemble exceptionnel de meubles issus d’un atelier villageois de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Le résultat de cette double démarche de restauration et de collection est là, devant vous et, en ce week-end du Patrimoine, nous l’inaugurons officiellement ainsi que la fondation La Blanche Maison.

Quelques explications sur les raisons d’être de cette fondation : il s’agit de veiller à la pérennité de qui a été réalisé. C’est qu’il ne s’agissait pas, pour moi, d’un simple hobby. Dès le départ, j’ai eu pour but de transmettre quelque chose aux générations futures, et ce « quelque chose » n’est pas seulement d’ordre matériel ; au contraire, il s’agit d’Histoire, de Patrimoine, de mode de vie ancestral, de savoir-faire en voie de disparition... Est-ce du passéisme ? Je ne crois pas, je pense au contraire répondre ainsi à des besoins bien actuels car, comme le disait Churchill : « Un peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir ».

Mais la grande Histoire, qui passe souvent au-dessus de nos têtes, prend ici une dimension régionale, locale, tangible. L’enseignant que je suis sait bien que, pour transmettre, il faut éveiller l’intérêt, et que pour y parvenir, il faut que cette Histoire avec un grand « H » contienne  une histoire -des histoires- tout court. Qu’elle utilise un langage accessible. C’est ce qui fait tout l’intérêt des musées régionaux. Leurs collections ne peuvent être considérées comme des collections de second choix : au contraire, elles possèdent cette qualité essentielle de nous parler à nous, de nous, tout en nous menant vers des horizons plus larges.

La fondation La Blanche Maison constitue donc une condition nécessaire pour la préservation et la transmission de cette part d’histoire régionale, de ce patrimoine qui est avant tout celui des gens d’ici. La Blanche Maison vous appartient donc un peu, à chacun d’entre vous. Mais si la création de la fondation est une condition nécessaire à cette transmission, elle n’est pas suffisante : pour que la Blanche Maison ne devienne pas un conservatoire de vieilles lunes, il vous appartient de la faire vivre par votre intérêt. Votre présence ici aujourd’hui en est un premier témoignage, un témoignage que j’apprécie beaucoup et dont je vous remercie du fond du cœur.

J’invite à présent Monsieur le Bourgmestre à couper le ruban de la crémaillère que nous allons pendre ensemble, appliquant à la lettre ce vieux rituel porteur d’espoir.